Contribution d’EELV en conclusion du débat public LNPN
Publié le 6 février 2012 dans Le débat public
Le lundi 3 octobre 2011, débutait le débat public sur le projet de Ligne Nouvelle Paris Normandie. Les élus Europe Ecologie Les Verts des conseils régionaux de Basse Normandie et Haute-Normandie et d’Île-de-France se sont organisés pour porter ensemble un message commun et cohérent. Seule famille d’acteurs à être unis dans ces trois régions, les élus EELV ont déposé un cahier d’acteur commun et se sont mobilisés pour être présents et actifs dans le débat.
Aujourd’hui, au terme du débat public, nous proposons une contribution complémentaire à partir des éléments qui ont pu être avancés au cours de ce débat.
Un bon débat public marqué, toutefois, par de vraies absences de fond
Nous tenons tout d’abord à saluer le travail de la Commission Particulière du Débat Public qui a su organiser et mener un débat de qualité. Son organisation a été sans faille et elle n’a pas manqué d’idées et d’initiatives pour animer les échanges et recueillir les avis les plus larges.
Ce débat a permis, en particulier, que s’expriment les difficultés et les attentes des usagers du « train du quotidien » et de ceux qui sont contraints d’utiliser leur automobile faute d’une offre de transport collectif suffisante. Ce débat a aussi fait émerger un certain consensus sur la nécessité d’un investissement massif dans le transport ferroviaire pour favoriser les déplacements choisis, le report modal et combler le grand retard dans ce domaine que subissent les axes qui desservent nos régions, générateur de saturation, de défaillances, de retards et d’inconforts.
Se sont également exprimés de nombreux doutes et craintes sur la capacité des différents scénarios présentés par RFF sous l’étiquette LNPN à répondre à ces besoins : craintes pour la desserte des villes moyennes, rejet des gares dites « betteraves » (hors agglomération) dans l’Eure, doutes sur la définition et le coût d’un matériel moteur spécifique apte à 250 km/h, crainte sur le prix des billets, crainte pour l’impact environnemental et l’avenir du réseau existant. Surtout de grandes inquiétudes s’expriment quant à la possibilité de financer une telle infrastructure sur des moyens publics et en conséquence le risque de recours à un Partenariat Public Privé (PPP).
L’effondrement du fret ferroviaire a été constaté, fruit des politiques menées à l’échelle européenne, française et par les opérateurs. Face au projet LNPN le limitant au transport des flux massifiés issus des ports du Havre et de Rouen, a été défendu le retour et le développement d’une desserte fine de tous les territoires normands avec en particulier la réouverture du triage de Sotteville.
Tout cela a motivé notre demande d’expertise complémentaire auprès de la Commission Particulière du Débat Public que nous remercions ici d’avoir bien voulu y donner suite.
Nous regrettons au passage que notre demande fût la seule demande d’expertise globale. Pourtant, des questions sur la rentabilité économique, la correspondance avec la demande sociale ou l’apport en termes d’activité ou d’emplois n’ont pas trouvé de véritables réponses.
Ainsi, nous ne sommes aujourd’hui pas convaincus des éventuels impacts positifs de la LNPN sur les territoires concernés. Nous avons du mal à percevoir au-delà des discours parfois incantatoires, parfois même de l’ordre de la prophétie, des éléments tangibles prouvant un lien direct et proportionnel entre la ligne et le nombre d’emploi créées ou maintenus.
Les résultats de l’étude d’un scénario alternatif
Le 04 octobre 2011, les groupes d’élus régionaux EELV de Basse et Haute Normandie et d’Ile de France ont demandé une expertise complémentaire sur les solutions alternatives. L’idée était de savoir combien coûterait un projet basé sur l’amélioration de l’infrastructure existante avec la réalisation d’une ligne nouvelle Paris-Mantes, les éventuels Shunts Bussereau et la réalisation d’évitement longs sur la ligne Rouen-Le Havre.
La CPDP a accepté cette demande et a missionné les cabinets suisses BG et SMA pour réaliser cette étude avec un cahier des charges sur lequel EELV a pu donner son avis. Il était demandé au cabinet retenu de :
– caractériser la nature des travaux et leur coût pour moderniser la ligne entre Mantes, Rouen et Le Havre et entre Mantes et Caen
– chiffrer les shunts du « plan Bussereau » pour la ligne Mantes – Caen
– chiffrer un projet alternatif de type TER rapide circulant sur les voies ainsi modernisées entre Caen, Rouen et Le Havre
A partir de ce projet, il était demandé le calcul des gains de temps et de capacité ainsi que les impacts sur la fiabilité des dessertes.
L’idée est donc de réfléchir à une autre logique : celle d’améliorer l’existant et la capacité contrairement au projet LNPN a qui on a d’abord assigné l’objectif du gain de temps. Le projet alternatif propose donc de conserver, hors gain de temps, les mêmes fonctionnalités (dessertes, correspondances) que le projet LNPN.
La priorité est donnée à la fiabilité du réseau et à la qualité du service rendu et cela pour le plus grand nombre de Normands. C’est pourquoi il était demandé de prioriser le maintien des gares au centre des villes (Louviers, Val de Reuil, Evreux, …). Ce qui n’est pas le cas dans les scénarios de la LNPN, y compris le nouveau scénario AB+.
Rendu public le 20 janvier, le rapport des cabinets d’étude a permis une nouvelle ouverture dans le débat.
Il prévoit la réalisation du contournement du Mantois la réalisation de la nouvelle gare de Rouen Saint-Sever, la réouverture de la ligne Rouen-Evreux et la réalisation des shunts Bussereau.
Sur ce dernier point, il est indiqué que leur utilité n’est pas forcement très importante. D’un coût de 950 millions, ils servent toutefois à gagner du temps sur les liaisons bas normandes (1h30 entre Caen et Paris)
Les dessertes sont assurés par des trains à deux niveaux circulant à 200 km/h sur les axes Paris-Le Havre et Paris- Caen et 160 km/h sur Rouen Evreux.
Ainsi, il montré qu’il est possible avec 8 milliards d’euros d’améliorer significativement le service ferroviaire. Pour rappel, le projet LNPN coûte entre 10,4 milliards d’euros (scénario AB) et 13,9 milliards d’euros (scénario C).
Les gains de temps ne sont pas pour autant négligeables :
Liaison | Temps de parcours actuel | LNPN | Alternatif |
Caen-Paris | 107 | 80 | 90 |
Rouen-Paris | 71 | 52 | 59 |
Caen- Rouen | 95 | 51 | 79 |
Le Havre – Paris | 125 | 84 | 101 |
Surtout, il permet d’imaginer un phasage. La ligne nouvelle entre Paris et Mantes apparaissait comme indispensable, reste à arbitrer les investissements suivants
Investissement |
Coût |
Ligne nouvelle Paris Mantes |
3,9 |
Contournement de Mantes |
0,5 |
Amélioration Mantes-Rouen |
0,963 |
Amélioration Mantes- Caen |
1,235 |
Amélioration Rouen – Caen |
0,163 |
Réouverture Rouen – Evreux |
0,397 |
Amélioration Rouen – Le Havre |
0,892 |
Total |
8 |
De ces investissements les cabinets questionnent la pertinence des shunts Bussereau qui coûtent 961 millions et qui ne servent qu’à gagner 10 minutes de temps de parcours entre Caen et Paris.
Surtout, c’est le service offert qui est amélioré avec une offre qui augmente fortement (possibilité de cadencement à la demi-heure), des correspondances qui fonctionnent bien et des sillons équitablement répartis. Cette grille de desserte étant la même que celle offerte théoriquement par la LNPN.
Les cabinets émettent de plus des hypothèses intéressantes et novatrices pour des dessertes urbaines : tram-train entre Rouen et Evreux.
L’impact territorial est très nettement inférieur puisque ce scénario suppose une moindre construction. Les conséquences sur l’agriculture et sur l’environnement seraient donc limitées.
Le projet présenté ci-dessus apparaît comme plus réaliste et démontre qu’il serait possible de proposer, à côté des scénarios proposés par RFF, une modernisation « robuste » du réseau actuel.
Nous tenons à rappeler que ce scénario alternatif, toutefois s’il a été réalisé à notre demande, n’est pas celui d’EELV. Nous considérons avant tout qu’il est un éclairage qui bénéfice à tous et qui participe au débat public.
Mais surtout, reste pendante la question du financement, qui rend tout projet, même le plus pertinent, totalement contingenté. De ce fait, il nous apparaît comme illusoire de se perdre dans une bataille de scénarios, alors qu’aucun n’est à cette heure financé.
Phaser le projet pour en sauver au moins l’essentiel
Le projet LNPN doit être phasé. De nombreux acteurs ont convenu durant le débat qu’il était illusoire de considérer que le projet LNPN puisse être concrétisé en une fois et rapidement.
Le risque est donc de se perdre dans une bataille impossible. Au contraire, nous proposons d’échelonner, en admettant qu’elles peuvent voir le jour, les éventuelles réalisations relatives à la LNPN, et d’engager au plus vite les travaux indispensables sur le secteur Paris – Mantes.
La réalisation d’une ligne nouvelle entre Paris et Mantes-la-Jolie est indispensable au désengorgement du secteur et donc tout simplement à la continuité d’un service ferroviaire de qualité pour ceux qui l’utilisent quotidiennement, et qui sont de plus en plus nombreux.
Ensuite, la gare de Rouen Saint-Sever apparaît aussi comme indispensable tant l’actuelle est totalement saturée.
Nous demandons, dans la conclusion du débat, un phasage clair et chiffré du projet au vu des moyens les plus rapidement mobilisables.
Nous pensons qu’il est important de garder son énergie – et les finances – sur ces projets afin de les rendre possibles. Le gain de vitesse en pâtira certes, mais pour nous, améliorer – ou simplement préserver – la qualité de service ferroviaire est la première des priorités si on veut faire du train le mode de transport de demain.
Financement : nos inquiétudes ne sont pas levées
Variante pourtant cruciale, les questions sur le financement n’ont pas trouvé de réponses claires dans le débat public. De ce fait, aujourd’hui, personne n’est en mesure de dire comment le projet pourra être financé, ce qui rend parfois les discussions sur les scénarios un peu virtuelles.
L’Etat : une absence remarquée
L’Etat a été indéniablement le grand absent du débat public. Nous le regrettons. Sur un projet d’ampleur nationale, il est dommageable de ne pas entendre l’Etat, et ce d’autant plus, quand c’est le Président de la République lui-même qui lance le projet.
A défaut d’engagement de l’Etat dans ce débat public, il reste possible d’observer son action sur d’autres projets comparables. Nous constatons ainsi que l’Etat participe de moins en moins au financement de ces projets. Pour la LGV Sud Est Atlantique (SEA), il ne règle au final que 22 % de la facture totale. Pire, nous constatons que cet Etat qui ne peut plus payer qu’une partie minoritaire des projets de lignes nouvelles, ne place pas la LNPN dans ses priorités. Le projet de Schéma National des Infrastructures de Transport (SNIT) le place sixième, et ce même document est précédé d’un préambule avertissant de la probable non-réalisation des projets de ce schéma…
L’inquiétude est donc réelle.
De plus, le « contexte ferroviaire » a changé, et de ce fait, et suivant les conclusions des Assises du Ferroviaire, les projets du SNIT seront triés par l’agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF).
En conséquence, l’absence de représentant de l’Etat, de communication ou du moindre élément de chiffrage de sa part est un révélateur inquiétant du manque d’intérêt national du projet. Nous le déplorons, d’autant plus que la ligne Cherbourg-Caen-Paris est classée comme ligne « malade » par la SNCF (les deux autres lignes radiales Paris Le Havre et Paris Granville ne sont pas en meilleure santé …) qui reconnait donc ainsi la légitimité de nos attentes d’amélioration de la qualité de service. En tant qu’Autorité Organisatrice des Trains d’Equilibre du Territoire, l’Etat doit prendre ses responsabilités. Nous attendons des mesures fortes en ce sens. Nous espérons que l’Etat profitera de la conclusion du débat public pour prendre position.
RFF s’engage à la hauteur de ses moyens limités
Réseau Ferré de France est le maître d’ouvrage de la LNPN, mais un maître d’ouvrage sans moyen et dans une situation financière déjà précaire.
Concernant sa participation financière, Réseau Ferré de France a évoqué lors de la réunion publique de Lisieux le 10 novembre 2011 une contribution inférieure à 30% du montant total des travaux, évoquant même d’autres chantiers pour lesquels la participation de RFF est de l’ordre de 15%.
Nous comprenons la réticence de RFF à seule s’engager massivement dans ce projet d’autant que ses possibilités d’engagement sont règlementairement encadrées. Endetté à hauteur de 31 Milliards, rien que la réalisation des quatre projets de LGV en cours portera sa dette à 35 milliards en 2015. Rappelons de surcroit qu’il manque chaque année à RFF un milliard d’euros pour l’entretien du réseau existant
Le gestionnaire du réseau ferroviaire Français est donc trop endetté pour s’occuper correctement de l’infrastructure existante et c’est tout un réseau qui peut en subir les conséquences. Le modèle économique du Réseau Ferré Français est à revoir. Bien sûr, ce n’est pas le but du débat public sur la LNPN mais c’est un déterminant indispensable car nous ne pouvons passer outre le fait que le maître d’ouvrage ne peut manifestement pas aujourd’hui financer le projet qu’il propose.
Cette situation pourrait inciter, si la question des moyens de RFF n’est pas résolue, à engager un Partenariat Public Privé. Cette privatisation des travaux et donc de la ligne serait un pis-aller sans véritable efficacité. Nous le refuserons. Seule une intervention publique massive de l’Etat peut résorber le déficit ; et seul l’abandon, ou leur modification, de certains projets ruineux peut éviter de le creuser.
L’arrêt de projets de LGV est donc indispensable pour ne pas aggraver la situation de RFF et la recherche de nouveaux financements l’est simplement pour lui permettre d’accomplir ses missions. Ce débat l’aura, une fois de plus, illustré.
La SNCF doute de la rentabilité du projet
Dans son cahier d’acteur la SNCF, qui sera le principal opérateur de la ligne nouvelle, note que ses avis qu’elle émet sur les scénarios « ne constituent pas des engagements d’utiliser les infrastructures évoquées dans le présent cahier : leur utilisation dépendra de la viabilité économique, à l’échéance, des services ayant vocation à emprunter ces infrastructures. ». La SNCF affirme, comme EELV, que la priorité doit être le Mantois. Sur la question de la viabilité économique de la LNPN, la SNCF indique que la LNPN devra parvenir à un « bilan économique suffisamment attractif et une bonne visibilité sur le long terme pour la ou les Entreprises ferroviaires qui assureront les dessertes concernées par le projet ».
Il apparaît important dans ce débat d’écouter le principal (et seul ?) opérateur de la ligne future. Son avis plus que mesuré sur la rentabilité de la ligne est éloquent. La SNCF fait circuler des trains, or de ce point de vue, seul le Mantois est indispensable. Cela confirme notre conviction que pour améliorer le service ferroviaire, c’est le Mantois qui est doit être la priorité.
Les Régions et les autres collectivités pourront t’elle s’offrir cette ligne ?
Appelées à combler la participation en baisse de l’Etat, les collectivités (Régions, Départements mais aussi intercommunalités) contribuent de plus en plus aux projets ferroviaires. Sur la ligne Sud Est Atlantique par exemple, les collectivités versent 30% du coût total du projet. Le problème étant ici la valeur absolue très élevée : 30% de 10 à 14 milliards euros apparaît pour nos trois régions comme gigantesque au regard de leurs capacités financières actuelles et futures.
Malgré cela, les deux conseils régionaux de Normandie ont annoncé des réserves financières : la Haute-Normandie engage 160 millions d’euros et la Basse 400 millions. C’est tout à la fois peu au regard des estimations du projet global et énorme au vu de leurs budgets. De ce fait, nous pouvons être inquiets sur ce que cela peut signifier comme renoncements dans leurs politiques régionales.
Pour ce qui est des autres collectivités, nous pensons que la participation des intercommunalités est dangereuse et les élus EELV s’y opposeront. Un tel montage financier serait une véritable campagne d’appel au don, dépassant leurs compétences et leurs domaines d’action. Les collectivités ont des projets de mobilité qui ne doivent pas en pâtir. La priorité pour elles doit rester la mobilité quotidienne dans leur territoire. Sur ce domaine, les besoins et les défis à relever sont considérables.
La crainte d’une privatisation du réseau ferré
L’évocation de la possibilité d’un Partenariat Public Privé (PPP) pour réaliser ce projet fait frémir beaucoup d’acteurs, élus, syndicalistes ou mêmes usagers. C’est que les retours d’expériences des PPP ne sont pas toujours rassurants. D’un coût public limité au démarrage des travaux, ce type de montage financier permet aux pouvoirs publics de ne pas « ouvrir le portefeuille », ou partiellement, allégeant au passage la dette publique. Par contre, le loyer, qu’il soit payé par la collectivité, l’usager ou les deux, fait souvent regretter très rapidement ce choix.
De plus, un PPP serait un pas de plus vers une privatisation du réseau ferré Français, qui avait été pourtant nationalisé avant la guerre. Ce retour en arrière n’est pas acceptable.
Enfin, notons que les très grands groupes de BTP – seuls aptes à porter un PPP- réalisent des bénéficies sans qu’aucune garantie soit donnée sur leur réinvestissement sur le ferroviaire français.
Pour ces raisons, EELV rappelle sa totale opposition à tout montage de type PPP sur tout ou partie du projet LNPN.
Conclusion :
Aujourd’hui rien n’est financé et si peu semble finançable. La construction de cette ligne apparaît alors comme un horizon lointain et plus qu’incertain. De ce fait, soumettre les travaux indispensables, comme le Mantois, à un accord global sur l’intégralité du projet c’est prendre le risque de prolonger, et donc d’aggraver, la situation actuelle déjà intenable.
Le risque est grand de repartir après les conclusions du débat, et ce, quelque soit la couleur du gouvernement, dans de longues discussions sur l’opportunité, les contours et le financement du projet suspendant alors les travaux de secours et de maintien du service ferroviaire.
Pour Europe Ecologie Les Verts il faut engager les travaux sur le Mantois sans attendre ; cela passe par un phasage des réalisations de la LNPN, ou même en extraire les améliorations urgentes.
Enfin, à la fin de ce débat, nous sommes étonnés de l’absence d’implication et de pistes sérieuses proposées par la Mission de financement parallèlement mise en place au débat. Nous souhaitons que des pistes de financements soient associées aux conclusions de la CPDP.